Je travaille depuis 1 an sur une série de dessins érotiques à partir d’un répertoire graphique de coupures et de brûlures.
Dans ces « cuts » et « burns », le papier devient la peau même, les opérations plastiques les caresses ou les griffures. Toujours obsédée par le dessin, j’expérimente ce qui se passe lorsque l’outil passe sous le plan du papier, le dessin relevant presque alors de la micro-sculpture.
Ces expériences me permettent d’aborder des questions qui me sont chères, comme la pleine conscience sexuelle, le genre, le couple, hétéro-normativité et le queer.
Précédemment je travaillais sur “la série des désastres”. Cette série s’inscrit dans une filiation avec la peinture romantique. C’est en regardant les peintures de Friedrich, de Turner ou de Géricaut que j’ai initié ce travail. Pourtant, si les paysages romantiques sont à penser dans une dimension mystique – celle de l’homme qui, devant la puissance, la grandeur de la nature, n’a pas d’autre solution que la méditation pour tenter d’atteindre l’Infini, et par là, Dieu – le monde que j’ai à contempler aujourd’hui a été déserté par Dieu. Et c’est par l’écran ou par la presse que je contemple non plus une nature sublime, mais le réel d’une humanité en crise, les désastres et les civilisation qui chutent.
Pour «Syria», j’ai dessiné à partir des images qui nous parviennent actuellement de Syrie. Kobané, Alep, Homs. Ces noms de ville dont nous parviennent les images traumatisées. Des ruines, de la fumée, des corps, des regards. Je me suis forcée à suspendre mon émotion pour engager un travail de conscience, convaincue que mon rôle d’artiste est d’être le témoin résistant et solitaire des horreurs qui se jouent dans le monde contemporain …
A partir de ces dessins j’ai ensuite travaillé en sérigraphie, médium qui m’a permis de composer, mêler, varier la composition de ces ruine. Parfois le dessin disparait, parfois il est hyperréaliste. Le blanc du papier devient le silence de mon jugement, le terrain où erre le regard en quête de sens.
Pour cette série, je tente de dire la ruine de notre monde, d’une civilisation, à travers la ruine de l’image. La ruine de l’homme à travers la ruine de son territoire. Je me force à être le témoin actif d’un drame qui se joue si proche, auquel j’assiste, comme tous, impuissante, les bras ballants, l’âme à vif. Aussi, j’avance à pas prudents pour construire une œuvre qui soit engagée, mais aussi pudique, silencieuse, respectueuse.
Ce travail plastique est mené de front avec un engagement humanitaire, puisque je suis engagée auprès des réfugiés Syriens de Toulouse depuis 1 an et travaille chaque jour à ce que la France accueille de façon décente ces hommes, femmes et enfants.
A l’atelier, je travaille parallèlement à une série sur les réfugiés, et à une série sur les désastres climatiques, qui s’inscriront dans la série des Désastres prochainement.
Avant ça, j’ai travaillé pendant un temps sur la “série des natures mortes”. L’émotion qui est à l’origine de cette série est mieux formulée par Deleuze que par moi : « La viande est la zone commune de l’homme et de la bête, leur zone d’indiscernabilité, elle est ce «fait», cet état même où le peintre s’identifie aux objets de son horreur ou de sa compassion » (Gilles Deleuze Francis Bacon, logique de la sensation).
Lorsque j’ai emménagé à la campagne en 2010, j’ai commencé à me retrouver quotidiennement en présence de charogne (sur les bords des routes, ou que mes chats me ramenaient, ou lors de promenades) et à les dessiner. En 2011, je contactais l’école nationale de vétérinaire de Toulouse, et j’assistais aux séances de dissection et autopsie. Techniquement, c’est un mélange de photographie, de retouche numérique, puis de dessin (ou de gravure). Mon travail graphique, presque topographique, donne de près un entrelacs abstrait, gestuel et nerveux, comme des capillarités graphiques, des paysages… De loin, le dessin est hyperréaliste, le «jus » numérique unifiant le tout. Il y a une notion de tissage, de fil, de patience, les plus grands formats peuvent me prendre jusqu’à 80h de dessin…
Ma fascination pour ces charognes relèverais de l’émotion décrite par Baudelaire dans son poème du même nom : ces restes en putréfactions, trouvés sur le bord de la route, participent de l’immonde, du répugnant, de la maladie. Ils nous parlent de l’animal mais aussi de nous, de notre mortalité.
Il y a, en filigrane, un grand respect pour la bête, peut être une tentative de lui rendre sa sacralité, d’y prêter attention, une fascination d’enfant pour son « animation » (animal en grecque, c’est ce qui est animé, ce qui possède une âme). Lui rendre hommage, loin de la viande sous cellophane, loin de l’industrie alimentaire qui la traite comme un matériau et non un être. Il y a une vraie zone non-pensée dans notre système, qui refuse à l’animal son altérité. Ce n’est pas la viande que je représente, mais la chair, qui a souffert, expiré le souffle vital, je fais l’autopsie du principe vital…
Le fil conducteur de mon travail ces dernières années serait donc cette opposition entre le sujet, qui participerait du drame, de l’immonde, du désastre, et la facture, qui, elle, relève de l’orfèvrerie, du délicat. Avec cette opposition, j’essaye de toucher au sublime : ce qui est beau et effrayant tout à la fois.